jeudi 22 mai 2014

Une utilisation de l'écriture automatique en hypnothérapie




Sarah a 15 ans. Sarah m'a été envoyée par son père que j'accompagne dans la gestion émotionnelle d'une maladie chronique. Elle a accepté que je rédige et publie ici un petit résumé de notre travail ensemble, et a souhaité que je ne change pas son prénom (qu'elle aime beaucoup), car elle a jugé que son anonymat était préser.

Depuis l'âge de douze ans, Sarah pleure. Des crises de larmes soudaines qui s'accompagnent de sanglots très expressifs. Lorsqu'une crise se déclenche, elle perd littéralement le contrôle et ne peut d'aucune façon venir l'interrompre. Au début, les larmes allaient de pair avec des idées tristes et une tristesse ressentie.
Rapidement, les larmes et la tristesse sont apparues sans qu'aucune idée triste n'y soit associée. Et depuis un an environ, les crises de larmes ne donnent même pas lieu à une véritable émotion associée.

Elle est simplement, en fonction des situations, très embarrassée, honteuse, agacée, déçue, désespérée, selon ses propres termes.

Sarah est suivie en psychothérapie par un psychiatre. Et leur travail a aboutit à un progrès manifeste et très encourageant. Ses crises diurnes sont désormais rares et durent moins longtemps. Parfois, il s'agit même seulement de larmes, mais avec des sanglots très légers.

Mais depuis peu, de nouvelles crises, nocturnes cette fois, se manifestent. Sarah dort seule dans sa chambre et il lui a fallut quelques temps pour s'en rendre compte. De plus en plus souvent, elle se réveillait le matin exténuée, les yeux congestionnés. Des larmes pas toujours sèches irritaient ses pommettes et ses joues. Ses draps étaient bien souvent en vrac au pied de son lit.

C'est sa mère qui, l'entendant sangloter, l'a surprise au beau milieu de la nuit, prostrée dans un coin de sa chambre, dans un état de tristesse très intense.

Comme sa mère l'a réveillée durant sa crise, Sarah a pu se souvenir qu'elle se levait pour pleurer depuis déjà quelques semaines.

Démuni devant ce nouveau symptôme, son psychiatre a décidé de persévérer dans la thérapie, mais lui a également conseillé de voir ce qu'un hypnothérapeute pourrait lui apporter en complément. Son père, que je reçois une fois tous les deux mois, me l'a naturellement adressée.

Dés la première séance, après avec longuement discuté, la première hypnotisation que je lui ai proposée à immédiatement provoqué une crise de larme, ce qui était parfaitement logique et prévisible.

À la différence de ses crises naturelles, j'ai pu obtenir que la crise cesse sur un simple signal. Une personne sujette au somnambulisme nocturne a des chances assez élevées de répondre à l'hypnotisation en développant très rapidement un état très profond de somnambulisme hypnotique. Et c'est exactement ce qui s'est passé.
Sarah gardait une mémoire correcte du contenu de l'hypnose, mais sur une simple suggestion, pouvait l'oublier totalement, ou s'en souvenir complètement.

Les suggestions et le travail menés durant la première séance ont été insuffisants pour obtenir une amélioration significative. Les crises nocturnes ses sont espacées, et elle était plus sereine en journée. Mais rien qui permette d'attribuer avec certitude ces changements à l'usage de la suggestion hypnotique.

Durant la deuxième séance, je lui ai proposée un travail basé sur l'écriture. Sarah est une élève studieuse et créative qui passe beaucoup de temps à écrire et avec plaisir. Elle était donc ravie d'apprendre qu'un travail de « thérapie », comme elle l'a spontanément nommé, pouvait passer par l'acte d'écrire.

Nous avons d'abord discuté de l'acte d'écrire lui-même. Et cette discussion avait pour but d'introduire en elle l'idée d'une écriture automatique afin que celle-ci devienne plus facilement une suggestion réelle plus tard.

Je lui ai expliqué que l'action d'écrire combine de la volonté, des réflexes, des automatismes, et des décisions prises sans notre intervention consciente.
Par exemple, je veux écrire le mot « Joie », c'est ma volonté, mon désir, mon souhait conscient. Cela active des automatismes dans ma mémoire, dans ma motricité, des réflexes musculaires acquis, etc... Et ainsi j'écris le mot sans effort, naturellement. Et il y a également des choix inconscients : pourquoi ai-je détaché le « i » et le « e », pourquoi est-ce que j'ai écrit le « j » en majuscule. Ça n'a peut-être aucune signification, mais j'ai quand même, sans y réfléchir, choisi de l'écrire comme ceci plutôt que d'une autre façon.

Autre exemple, si je veux écrire un mot pour préciser à ma femme que j'ai arrosé le plans d'aromates du jardin et qu'elle n'a pas besoin de le faire, j'ai un souhait, une volonté, qui est le message à transmettre. Tout un ensemble d'automatismes de la mémoire et du corps vont me permettre de l'écrire avec des lettres lisibles et une orthographe correcte. Mais encore, sans y réfléchir vraiment, j'utiliserai spontanément tel mot plutôt que tel autre, tel ton plutôt que tel autre, etc... Ces « choix inconscients » seront déjà plus intéressants dans le sens où ils trahissent probablement un peu de ma personnalité, et de la nature de notre relation conjugale.

Cette évocation amène à Sarah, par analogie, une anecdote sur un lapsus graphique cocasse qu'elle fait systématiquement. A chaque fois qu'elle veut taper le mot « félicitation » sur son ordinateur, elle tape d'abord le mot « félacion » (sic) puis le corrige.
Après en avoir rigolé ensemble, il vient à Sarah un autre lapsus qu'elle fait régulièrement : quand elle souhaite taper le mot « peur », elle tape d'abord spontanément le mot « pleur ».
Sans que je la pousse dans une interprétation trop hasardeuse, Sarah remarque d'elle-même la pertinence particulière de ce lapsus. Je me garde de lui faire remarquer que l'autre aussi pourrait ne pas être qu'une simple grivoiserie de subconscient.

J'explique ensuite à Sarah ce qu'est le phénomène de l'écriture somnambulique. Je lui cite l'exemple du Dr Milton Erickson qui, étudiant en médecine, rédigeait des articles entiers dans son sommeil, qu'il trouvait au matin sur sa table de chevet, lorsqu'il se réveillait sans aucun souvenir de l'avoir fait ni même de ce qu'il avait écrit et les envoyait tels quels au journal universitaire. Et je lui cite quelques autres expériences issues de ma pratique.

Comme nous avons déjà eu l'occasion d'observer avec elle l'extrême docilité de son somnambulisme, elle n'a aucun doute sur sa capacité à écrire dans un sommeil paradoxal et n'en garder aucun souvenir.

Je lui décris ensuite le phénomène nommé « écriture automatique ». Pour ajouter du piquant au récit, je lui raconte certaines utilisations que font les spirites de ce mécanismes psychologique qu'ils nomment « psychographie ».
Je lui précise qu'il s'agit de rester dans un état d'hypnose partiel, qui permette, bien qu'on puisse se sentir « bizarre », d'être assez présent, assez consciemment réveillé pour observer l'action autonome de la main qui bouge toute seule, manipule le crayon, et forme les lettres. On découvre alors les mots que ces lettres forment. Et on peut ensuite découvrir des phrases entières, en ayant réellement le sentiment de n'avoir joué aucun rôle. Bien souvent, lui précisé-je à fin de suggestion, on n'a même aucune sensation de son bras et du mouvement du bras. Si bien qu'on le croirait parfaitement immobile si les yeux n'étaient pas grand ouverts pour regarder ce spectacle.

Sarah est amusée par cette idée. En effet, le somnambulisme a ceci de frustrant que le sujet ne peut pas vraiment dire qu'il a vécu une expérience étonnante. L'idée d'une hypnose partielle, durant laquelle on assiste au phénomène qui se produit en nous, est plus excitante pour elle.

Plongée dans un état somnambulique, je propose à Sarah d'écrire un poème qu'elle connaît par cœur, et à chaque mot, de se réveiller un peu plus, tout en laissant le bras droit continuer d'écrire tout seul dans son sommeil. Il a suffi de quelques minutes pour obtenir un résultat très satisfaisant et un état partiel parfaitement stable.

Je me suis donc retrouvé, comme il est habituel aux personnes qui accompagnent l'écriture automatique, attablé avec Sarah, elle consciente, bien que « vaseuse » (sic), et son bras écrivant lentement de jolies lettres d'écolière un peu saccadées.

J'ai demandé à Sarah si elle savait à quoi ses crises de larmes correspondaient ? Elle m'a répondu qu'elle n'en avait pas la moindre idée. Plus précisément, elle m'a répondu « non ». En effet, dans un état d'hypnose partiel, il est rare qu'une personne fasse de longues phrases quand un mot peut suffire.

J'ai alors proposé sur un ton d'interrogation : « Peut-être qu'une partie de toi le sait et nous le dirait à travers la main ». Nous nous sommes tous deux tournés vers sa main droite qui se tenait figée, un stylo noir bien serré entre les doigts, prête à écrire. Un mouvement circulaire a commencé, et on a très vite pu lire la lettre « o », puis un « u » à trois branches comme un « m » renversé, puis un « i ». Il est très fréquent en écriture automatique, qu'une jambe d'une lettre se répète ou qu'une boucle soit tracée plusieurs fois. Mais vue sa facilité à l'écriture, même dans cet état, je soupçonne cette répétition d'être conditionnée par le fait que j'ai évoqué cette erreur caractéristique dans mes explications.

S'en est suivi une sorte de « conversation à trois », aussi étrange que cela puisse paraître aux personnes qui ne sont pas familières du phénomène psychologique de l'écriture automatique, entre moi, Sarah, et sa main droite.

Le mot qui s'est écrit quand j'ai demandé des explications sur ses crises était « non ». Visiblement, il n'était pas souhaitable que nous ayons connaissance des causes et des raisons du problème.

J'ai demandé si Sarah pouvait faire quelque chose pour que ces crises disparaissent. La réponse a été « non ». D'expérience, je sais que, si on obtient un « non » a une question fermée qui porte sur le fait même de sortir du problème, ce qui ne nous arrange pas, il est possible et efficace de « forcer le oui ». Encore faut-il savoir le faire et respecter quelques règles basiques.

Alors, je me suis empressé de poser à nouveau ma question autrement : « Qu'est-ce Sarah peut faire pour que les crises disparaissent ? ». Le mot « atendre » (sic) s'est écrit. Sarah a une très bonne orthographe. Mais l'écriture automatique en hypnose partielle répond souvent à la même règle d'économie d'effort que les autres actes suggérés, ce qui entraîne souvent des contractions de mots ou de lettres, ou des abréviations.
En découvrant la faute d'orthographe qui s'écrivait devant elle, Sarah a rougi et s'est excusée. Cela ne faisait que renforcer son sentiment que cette partie d'elle qui réfléchissait et répondait par ces mouvements d'écriture n'était pas elle et ne percevait pas les choses comme elle. Pour Sarah, il est important de ne pas faire de fautes, surtout si une autre personne lit ce qu'elle écrit. Pour la partie en question, cela ne revêt pas du tout la même importance.

« Combien de temps ? » m'a-t-elle demandé ? Je lui ai dit que je ne savais pas. Je l'ai invitée à poser de nouveau cette question, mais en direction de sa main droite. Et sa main a écrit «  2m »
Pour lever toute ambiguïté, j'ai invité la main à réécrire de façon parfaitement claire pour nous, et alors il s'est écrit en toutes lettres : « deux bons mois ».

Evidemment, à la suite de cela, j'ai procédé à toutes sortes de vérifications et de procédures techniques dont je vous passe les détails mais qui visent à s'assurer de la bonne intégration de l'exercice, du bon déroulement des choses à la suite de ce travail, et également d'un retour complet de la personne à un état parfaitement réveillé et « normal ».

Nous avons fixé un rendez-vous trois mois plus tard.

Ce troisième rendez-vous, donc, le 6 Mai, a été l'occasion pour Sarah de me décrire les suites de notre séance d'écriture automatique.
Elle s'est sentie « sur un petit nuage » pendant quelques jours. Puis elle est restée très apaisée. Chaque nuit, elle a fait une crise de larme, apparemment assez forte. Mais les crises en journée ont continué de s'espacer jusqu'à disparaître au bout de trois semaines. Elle s'organisait une sieste dans l'après-midi pour récupérer quand son emploi du temps le permettait et se « fichait complètement » de ses crises nocturnes.

Au bout d'un certain temps, environ deux mois, elle s'en rendu compte que ses crises ne se produisait plus toutes les nuits, et qu'elles devenaient rares. Mais elle n'y prêtait quasiment pas attention.

Sarah avait oublié l'expérience d'écriture automatique quelques jours après la séance, et elle ne s'est souvenue d'avoir écrit écrit « attendre / deux bons mois » que le matin du rendez vous. Et ce même matin, elle a réalisé qu'elle n'avait pas fait de crise depuis un certain temps. Mais elle était « incapable de dire si c'était depuis quelques jours ou plusieurs semaines ».

J'ai reçu un message de Sarah hier disant qu'elle n'avait toujours pas pleuré et que son psychiatre lui avait dit qu'ils allaient espacer les séances pour ne plus assurer qu'un suivi. Depuis, ce même médecin m'a adressé une autre de ses patientes, et nous allons, comme on le fait habituellement, prendre contact pour coordonner nos efforts respectifs.









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